Les camps de réfugiés ont donc été le giron où s’est formé le groupe de militaires qui tiennent aujourd’hui les rênes du pouvoir à Kigali.
La
catégorie de réfugiés-mercenaires dont la crise ivoirienne a récemment montré
qu’elle constitue un facteur d’instabilité régionale soulève des questions de
fond quant à la politique menée par le HCR puisque les camps sont les viviers
des entrepreneurs de guerre. À la différence des bandes armées qui sévissent
dans les régions frontalières mal contrôlées du Liberia, les militaires tutsis
furent enrôlés au service d’une cause politique dépassant les simples intérêts
personnels des Warlords. Bien encadrés, aguerris au combat, ils
constituèrent le noyau d’une véritable armée nationale qui est aujourd’hui la
deuxième d’Afrique centrale, en puissance et en efficacité, après l’armée
angolaise.
La
rencontre entre Yoweri Museveni et Paul Kagame, ce dernier traîné sur les
chemins de l’exil alors qu’il n’avait que quatre ans, allait infléchir le
destin de l’Afrique centrale. Les champs de bataille de l’Ouganda les ont unis
pendant de longues années. Kagame remplit des fonctions importantes à
l’état-major de l’armée ougandaise, notamment dans le renseignement. Mais après
la conquête du pouvoir par Museveni en 1986, les combattants rwandais, de
précieux auxiliaires qu’ils avaient été, devenaient encombrants, d’autant plus
que le FMI faisait pression pour que l’Ouganda réduise ses effectifs
militaires : quelle meilleure issue pour éviter un conflit interne que de
les lancer à l’assaut du Rwanda ! Depuis la mort du « Commandant
Fred », au cours d’une offensive qui tourna en déroute en octobre 1990,
Kagame, rentré précipitamment d’une formation militaire aux États-Unis, assume
la direction du FPR.
L’échec des premières opérations de l’APR est imputable à la supériorité numérique des Forces armées rwandaises (FAR) et à l’aide apportée au Rwanda par le Zaïre, et surtout par la France dont le déploiement d’un contingent militaire stoppa l’avancée des forces tutsies. Cette intervention étrangère (comme aujourd’hui en Côte-d’Ivoire ?) donna un répit au pouvoir du président Habyarimana et l’illusion qu’elle pouvait arrêter le mouvement de l’histoire. Le soutien apporté par la France n’eut pour effet que de mobiliser davantage les Forces patriotiques rwandaises, appuyées sur leurs bases arrière en Ouganda.
La dégradation de la situation intérieure, l’insécurité croissante dans les régions frontalières du Nord exposées aux incursions de commandos tutsis contraignirent les maîtres du Rwanda à rechercher une solution négociée : les accords d’Arusha prévoyaient l’ouverture d’un pouvoir jusqu’alors confisqué par les proches d’Habyarimana en direction d’une opposition composée de Tutsis et de Hutus dits « modérés ». C’est dans cette perspective d’un partage du pouvoir, et dans le contexte de peur d’un retour des Tutsis de l’émigration, que les « médias de la haine », principalement Radio Mille Collines, appelèrent les Hutus à éliminer, jusqu’au dernier, ceux des Tutsis qui vivaient au Rwanda [Chrétien, 1995]. L’attentat du 6 avril 1994, qui coûta la vie aux présidents du Rwanda et du Burundi, mais dont on ne connaît toujours ni les exécutants ni les commanditaires, fut le signal des massacres systématiques de Tutsis et de Hutus modérés.
Ce qu’on a appelé le « génocide » rwandais, quand l’ampleur des massacres ne fit plus de doute pour personne, a été méthodiquement exécuté sous la direction des autorités civiles, militaires, et même religieuses et avec la participation très active des miliciens interahamwe qui sont demeurés le symbole de ce crime collectif. Les massacres avaient été sciemment programmés. Le mot d’ordre de Radio Mille Collines était « tuez les tous » [Human Rights Watch, 1999]. Nul besoin pour cela d’armes sophistiquées : on massacra à la machette – alors qu’aujourd’hui les miliciens en Ituri sont tous équipés d’« armes légères » du type des kalachnikovs.
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